Lettre ouverte au président de la République : l’effectivité des droits de l’enfant nécessite une ambition affirmée et une gouvernance renforcée
Monsieur le président de la République,
Le contexte dans lequel vous lisez ce courrier est difficile pour l’ensemble de notre pays, et risque de durer encore plusieurs mois. Dans vos récents discours, vous avez appelé à l’unité de la Nation en réponse aux épreuves que nous traversons. Nous pensons que cette unité doit se faire en préservant et en préparant un avenir commun, au centre duquel les jeunes générations doivent être mieux prises en compte, valorisées et écoutées. Pour ce faire, leurs droits, consacrés il y a près de trente-et-un ans par la Convention relative aux droits de l’enfant, doivent plus que jamais être garantis à chaque enfant.
Il y a un an, à l’occasion du trentième anniversaire de ce texte international, vous aviez délivré à l’Unesco un discours engagé sur l’enfance, et énoncé les nombreux défis à relever afin de passer “De la Convention aux Actes”. L’année écoulée n’a pas apporté les progrès attendus en France et dans le monde dont nous voulons rappeler l’urgence à la veille de ce nouvel anniversaire.
Monsieur le Président, vous le savez comme nous, la crise sanitaire en cours est sans précédent. Elle bouleverse notre société, exacerbe la précarité et renforce la vulnérabilité des enfants et des jeunes. Les enfants sont d’ores et déjà parmi les plus affectés par les conséquences sociales de cette pandémie : au niveau mondial, plus d’1,5 milliard d’enfants ont été concernés par des fermetures d’écoles dont 463 millions qui n’ont pu bénéficier de la continuité éducative1 ; des millions d’autres n’ont plus d’accès à la santé2, parfois à l’alimentation ou encore aux loisirs, condition sine qua non de leur épanouissement. Et la crise va continuer d’affecter les enfants dans les temps à venir : au total, ce sont 150 millions d’enfants supplémentaires3 qui risquent de se retrouver en situation de pauvreté dans le monde à l’horizon fin 2020 en raison des conséquences économiques de la pandémie de la COVID-19. En France, la scolarité des enfants a été bouleversée exacerbant souvent des inégalités préexistantes. De nombreux enfants ont été exposés aux violences dans le cadre intrafamilial, le confinement ayant notamment empêché que leur situation soit signalée. D’autre part, les enfants relevant de l’Aide sociale à l’enfance, comme ceux en situation de handicap, ont pu souffrir de la suspension des droits de visite et d’hébergement ou de la fermeture des structures médico-sociales.
Cette crise révèle des faiblesses préexistantes mais elle peut être l’opportunité pour changer, évoluer, s’améliorer. En novembre 2019, nous avions remis à plusieurs décideurs publics une série de 12 actes, portant 69 recommandations, dont l’objet était d’améliorer l’effectivité des Droits de l’enfant en France et à l’international. Parmi ces propositions, l’une concernait plus spécifiquement la gouvernance de l’enfance.
La création d’un secrétariat d’État à la protection de l’enfance et la nomination d’Adrien Taquet début 2019, montrent une attention renforcée concernant les thématiques touchant à l’enfance. Depuis, des avancées concrètes ont eu lieu à travers la stratégie de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, et le pacte pour l’enfance. Dernièrement, l’allongement du congé paternité est apparu comme une évolution déterminante pour les premiers jours de la vie des tout-petits, et pour plus d’égalité entre femmes et hommes.
Monsieur le Président, il faut sans tarder aller plus loin. Nos associations vous demandent de porter une véritable ambition pour l’enfance et la jeunesse. Environ 16 millions d’enfants vivent aujourd’hui en France ; près de 2,2 milliards à l’échelle mondiale. Pour autant, l’enfance n’occupe aujourd’hui qu’une place secondaire parmi les priorités de notre pays, tant sur le plan national que dans notre action internationale et diplomatique.
Nous pensons donc que la gouvernance de l’enfance doit être renforcée et qu’un secrétariat d’État en fin d’ordre protocolaire ne peut ni représenter, ni porter les politiques publiques qui concernent plus d’un quart de la population - si l’on ne s’en tient qu’aux enfants et non aux familles -, tant en termes d’influence que de moyens humains et financiers. Un ministère indépendant ou un rattachement auprès du Premier ministre permettrait de réaffirmer le caractère pluridimensionnel des politiques de l’enfance.
Cette vision rénovée et intégrée des droits de l’enfant permettrait que les enfants d’aujourd’hui ne soient pas laissés de côté, et deviennent des jeunes et citoyens actifs de demain. 10 ans avant la fin des Objectifs de Développement Durable, l’aide au développement et l’aide humanitaire doivent gagner en efficacité et en cohérence via l’approche par les droits de l’enfant, aujourd’hui quasiment absente des orientations stratégiques de sa politique de coopération internationale, comme l’atteste le projet de loi relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.
Enfin, l’ambition pour l’enfance doit s’accompagner d’une action forte sur l’amélioration de la participation des enfants et des jeunes aux décisions et politiques publiques qui les concernent. Ainsi, la France doit soutenir davantage les organisations d’enfants et de jeunes existantes dans les pays partenaires, qui sont souvent porteuses de changement vers des sociétés plus justes et plus durables.
Monsieur le Président, dans cette période difficile, nous pensons qu’investir pour les enfants et la jeunesse et l’effectivité de leurs droits et affirmer une ambition claire en faveur des droits de l’enfant est un cap qui participerait à l’unité que vous appelez de vos voeux. Nous vous appelons donc, à l’occasion du trente-et-unième anniversaire de l’adoption de la Convention relative aux droits de l’enfant, à passer de la Convention aux Actes et à impulser une véritable politique transversale pour les Droits de l’Enfant. Avant la fin du quinquennat, il est encore temps de graver des actes, mais il faut agir maintenant.
Veuillez recevoir, Monsieur le Président, nos salutations respectueuses."
1 Enquête sur les réponses nationales du secteur de l’éducation face aux fermetures d’établissements scolaires liées à la COVID-19, UNESCO, UNICEF, Banque mondiale.
2 Recul de la vaccination en raison de la crise Covid-19, selon l'OMS et UNICEF, juillet 2020.
3 150 millions d’enfants supplémentaires plongés dans la pauvreté à cause de la covid19, UNICEF & Save the Children, septembre 2020.
Contacts :
Alice HAUG, en remplacement de Florine PRUCHON – Coordinatrices de la Dynamique & Chargée de plaidoyer SOS Villages d’Enfants
ahaug@sosve.org / fpruchon@sosve.org - 01 53 20 62 86
Jodie SORET – Chargée des Relations avec les Pouvoirs Publics UNICEF France
JSORET@unicef.fr - 06 71 37 63 57
Paul DE RYCK - Chargé de plaidoyer, recherche et animation du réseau France Parrainages
paul.deryck@france-parrainages.org - 06 42 98 14 52
Signataires :
Dynamique coordonnée par :
Collectif AEDE (Agir Ensemble pour les Droits de l’Enfant)
Droit d’Enfance
Réseau France Parrainages
OCCE – Office central de la coopération à l’école
SOS Villages d’Enfants
UNICEF France
Avec l’implication de :
Aide et Action
Alliance des Avocats pour les Droits de l’Homme
Apprentis d’Auteuil
APF France Handicap
Asmae – Association Soeur Emmanuelle
BICE – Bureau International Catholique de l’Enfance
Cofrade
Croix-Rouge française
DEI – France
Fédération du Scoutisme français
Grandir Dignement
Groupe Enfance
Groupe SOS
Idée 93
Jets d’Encre
Partage
Réseau National des Juniors Associations
Secours Islamique France
UNAPP – Union Nationale des Acteurs de Parrainage de Proximité
UNIOPSS